D’un côté, des machines infernales roulant à tombeau ouvert dans des champs qui s’étendent à l’infini. Des engins effectuant le travail de mille hommes et qui coûtent jusqu’à cinq cent mille dollars chaque. De l’autre, de minuscules lopins à l’ombre des baobabs et des paysans qui cueillent à la main avec l’aide d’enfants faisant l’école buissonnière le temps de la récolte…
D’un côté, les Etats-Unis, première puissance économique de la planète, de l’autre une poignée de pays d’Afrique de l’Ouest considérés parmi les plus pauvres du monde.
Entre les deux, une compétition acharnée pour la conquête du marché chinois : un milliard trois cent millions de personnes à vêtir, cent millions d’employés dans le textile et le coton, des dizaines de milliers d’usines géantes. Une industrie en pleine explosion qui inonde le marché-monde et menace directement la concurrence, asiatique, maghrébine, latino-américaine.
La compétition n’est pas seulement acharnée, elle est surtout déloyale, car les pays africains respectent les règles de libre concurrence imposée par l’Organisation Mondiale du Commerce et n’accordent aucune subvention à leur coton. Les Etats-Unis, eux par contre, continuent de verser entre trois et quatre milliards de dollars par an à leurs agriculteurs pour les inciter à produire afin de maintenir leur position historique de premier exportateur de la planète.
Au plan de la concurrence, la situation était devenue tellement intenable, qu’en 2003, l’Afrique a décidé de protester officiellement auprès de l’OMC réunie à Cancùn. Depuis, rien n’a vraiment été réglé, et la guerre des cotons continue de faire rage.
Certains protagonistes de rappeler que ce conflit plonge ses racines dans les plantations de Lousiane, à l’époque tragique de l’esclavage. Qu’il était déjà question de relations entre l’Afrique et l’Amérique. Que le coton est, depuis lors, le symbole des inégalités qui dominent les relations internationales. Qu’il est grand temps que cela change.
Le coton est, en effet, pour une bonne partie de l’Afrique, le seul succès économique tangible. La seule filière qui permette à certains pays d’intégrer le mouvement actuel de mondialisation. Le seul négoce capable de remplir les caisses des Etats, de financer les routes et les hôpitaux, les écoles et l’électricité …Le seul à fixer des populations qui seraient autrement tentées par l’exil vers l’Europe.
Impossible d’évoquer le coton – ni la guerre actuelle- sans évoquer le rôle de la France. C’est elle qui, après les indépendances – a eu l’idée d’implanter l’or blanc en Afrique noire. C’est elle, encore aujourd’hui, qui tente de faire avancer le dossier au sein du groupe restreint des grandes puissances. Les cotonniers français ont bien conscience que leurs intérêts sont en grande partie liés au sort de l’Afrique. Ils agissent donc en conséquence… Et tentent de se placer au mieux sur le marché chinois.
La voie africaine est étroite. Il lui reste tout de même quelques atouts. Le premier de tous est de rappeler que son coton est le plus écologique de la planète. L’Afrique peut également compter sur une génération de styliste talentueux qui ne demande qu’à promouvoir une matière première méticuleusement cueillie à la main, savamment teintée et artistiquement mise en forme. Les niches » haut de gamme » ouvrent des perspectives prometteuses.
Enfin, la communauté internationale pourra difficilement ignorer plus longtemps que le salut d’une partie de l’Afrique passe par l’exploitation de l’or blanc. Que ses Présidents – comme ses paysans – ne demandent aucunement l’aumône… Ils exigent simplement que justice leur soit rendue.