LES APACHES DE LA GIRONDE

Les Apaches de la Gironde sont gentilshommes des marais, navigateurs chevronnés, fins connaisseurs de la forêt. Ils pêchent, chassent et cueillent, comme d’autres prennent le métro pour aller au boulot. La différence, c’est qu’eux ne vont jamais au « chagrin », même s’il leur arrive de devoir travailler beaucoup plus que la plupart des salariés de ce pays. Les seules contraintes qu’admettent les Apaches sont celles des courants ascendants, de la profondeur des vases, de la puissance des vents. Les seuls patrons qui puissent leur imposer des horaires, ce sont le ciel et la mer. Un Apache pointe à la marée, s’incline devant l’orage, bat en retraite face à la déferlante. Et cela, de jour comme de nuit. Au coeur de l’hiver, plus encore qu’en plein été. La liberté est, paraît-il, à ce prix… Eux, en tout cas, se sont persuadés qu’ils ne pourraient plus en être autrement.

Eux, ce sont des Girondins entêtés, qui ont refusé la fatalité d’un chômage faisant des ravages depuis cinquante ans dans leur région.

Ces Apaches-là, sont des rebelles dans l’âme, pas des théoriciens du quotidien. Encore moins des marginaux ou des adeptes de modes de vie innovants. Ils sont, avant tout, fils du pays, d’abord contraints à l’exil. Certains ont atterri en Californie, d’autres ont pris leur envol professionnel dans de grandes entreprises. Tous reconnaissent avoir été hantés par l’idée de revenir tenter leur chance dans les marais de leur enfance. Et c’est ce qu’ils ont fini par faire. Chacun dans son coin, sans forcément se connaître.

Vicky tend des filets à fleur d’eau, José et Doudou s’accrochent aux bancs d’huîtres, Jean Marie introduit la culture de gambas, Christian bricole une scierie de fortune pour retaper les ruines du coin. Tous prétendent avoir trouvé leur voie, leur équilibre. Au plan personnel, on peut aisément imaginer qu’ils disent vrai, financièrement, c’est plus compliqué, mais aucun d’entre eux n’exprime le moindre regret. Sauf, peut-être, de ne pas s’être jeter à l’eau plus tôt. Il est vrai qu’en bordure de l’estuaire, l’air du temps sent bon l’iode et le vent fouette les énergies. Et puis, depuis quelques années, la pibale permet de boucler les budgets les plus serrés. L’alevin d’anguille vaut en effet une petite fortune et les Asiatiques achètent la pêche de toute la région. Alors, officiellement ou pas, chacun jette un bout de filet…entre une partie de chasse et une cueillette de cèpes…

Les Apaches de la Gironde ont l’accent chantant et appuyé mais se situent à mille lieux de cette France clochemerle qui fait sourire les citadins branchés. Il leur arrive, bien sûr, de se laisser envahir par une certaine nostalgie à l’égard du passé, mais c’est rarement par peur de la modernité. Leur seul souci, avec cette économie qui prétend inexorablement conduire au progrès, c’est qu’elle a déjà loupé le coche à plusieurs reprises dans leur région. Tous se souviennent de la lente agonie des huîtres, de la soudaine crise du pétrole, du ralentissement de la marine marchande. Alors, ils se méfient des boniements et ont appris à ne compter que sur leur propre force.

En fait, les Apaches ont plongés dans les marais comme d’autres ont pris le maquis. Par refus de l’ennui, de la médiocrité et de la pauvreté. Sans nullement le chercher, ils font rêver, nous donnent envie d’essayer de suivre leurs traces dans des décors que l’on croyait disparu. Avec un langage extraordinairement imagé et une réflexion qui plonge ses racines dans une sagesse héritée de temps anciens, ils s’imposent comme les précurseurs des nécessaires équilibres de demain.

AUTEUR – REALISATEUR: JEAN MICHEL RODRIGO
IMAGE : MARINA PAUGAM
SON : MAURICE ROUBAS
MONTAGE : ANY GOIRAN
MIXAGE : DIDIER RAY
PRODUCTION : EVELYNE JULY
CO-PRODUCTION : MECANOS-PRODUCTIONS, LA CINQUIEME
AVEC LE SOUTIEN DU CNC ET DE LA PROCIREP