Lassés de se voir refoulés à l’entrée des banques, soucieux d’être plus indépendants de la puissante Compagnie malienne du Textile, des paysans producteurs de coton de la région de Koutiala ont eu l’idée de fonder leur propre caisse de solidarité mutuelle. Ils sont aujourd’hui 160 000 sociétaires. Une sorte de grenier collectif où il serait bon d’engranger les billets, comme autrefois on le faisait avec le mil et le sorgho, pour affronter ensemble les moments de crise. À peine nées, les caisses d’épargne et de crédit ont été baptisées : Kafo-Jiginew. Ce qui en Bambara signifie, l’Union des greniers. L’histoire a commencé il y a dix ans… L’histoire a commencé il y a dix ans… Ils sont aujourd’hui 230 000 sociétaires. Personne, au début, ne donnait la moindre chance de survie à ces drôles de paillotes qui s’installaient en brousse pour collecter les billets froissés auprès de villageois sachant à peine compter. La volonté acharnée des fondateurs, renforcée par les conseils réguliers de banquiers français du Crédit Coopératif ont permis que l’utopie devienne réalité. Il faut tout de même ajouter que six années consécutives de bonnes récoltes de coton ont bien arrangé les affaires. L’or blanc vaut, en effet, son pesant de billets dans les coffres-forts tout neufs de Kafo-Jiginew.
Aujourd’hui, la banque des paysans de Koutiala pèse vingt milliards de francs CFA, emploie cent dix salariés, regroupe cent soixante mille sociétaires, finance une partie de l’économie du sud malien, prête de l’argent à la Compagnie Malienne du Textile en crise et s’est lancé à la conquête de l’épargne des salariés de la capitale Bamako.
Lorsqu’on les interroge sur les raisons d’un succès aussi spectaculaire que rapide, les paysans banquiers sont catégoriques. L’essentiel, pour eux, a été de savoir mêler habilement la solidarité africaine traditionnelle avec l’idée mutualiste, occidentale et moderne.
Cette histoire est symbolique d’une Afrique à la croisée des chemins, trop souvent occultée par les images de douleur. D’une Afrique qui fait le grand écart avec le temps. D’une Afrique où se mêlent le martèlement des pilons et le cliquetis des claviers d’ordinateur, le tam tam et l’internet.