PIERROT, LA BAGUETTE DES BOUGLIONE

A quelques semaines de l’ouverture du Cirque d’Hiver Bouglione, la caméra plongera dans l’univers méconnu des musiciens qui orchestrent le spectacle, imaginent les chorégraphies, mettent au pas les animaux. Au fil des répétitions, nos micros enregistreront la valse de plus en plus subtile des notes, l’adaptation des rythmes à chaque numéro, la mise en place de la magie à venir. Nous serons donc dans le réel, le labeur, le chagrin, le casse-tête. Un enchaînement de moment de créativité au moins aussi fascinant que le spectacle lui-même… Pas un musicien, ni le plus bavard des saltimbanques, ne livrera ses petits secrets qui font les grands moments, mais tous vont mettre en évidence le rôle immense de l’orchestre dont la moindre fausse note peut-être fatale pour celui qui est suspendu en l’air, dans une cage face aux fauves. La féérie est synonyme d’une minutie extrême… dont les musiciens sont les artisans discrets mais essentiels. Ils ont pour habitude de rester dans l’ombre, nous dirigeons les projecteurs sur eux. Pour le bonheur des petits et des grands enfants que nous sommes restés dès lors que le premier tour de piste commence.

En avant la musique donc, grâce à Pierrot…

Au moindre mouvement de baguette de Pierre Nouveau, Pierrot le corse, onze musiciens donnent le la pour l’ensemble de la troupe Bouglione. Pierrot est un pilier du spectacle depuis que Sampion et Francesco Bouglione lui ont demandé en 1999 de les aider à ressusciter le cirque d’hiver. Pour les jeunes du clan, le cirque de papa et de grand-maman avait été rangé dans la malle à Histoire depuis 1982, année de sa fermeture. Il fallait résolument tourner la page, partir à la reconquête du public à une époque du tout image et d’une concurrence mondiale dans le domaine du spectacle. Adieu la roulotte et les airs d’accordéons, Pierrot qui a fait le tour du monde avec les principales stars de la variété française, est chargé d‘imaginer l’atmosphère musicale d’un show moderne, « à l’américaine ». Pierrot accepte de poser ses valises, mais continue de voyager. Sur la  piste, dans les coulisses, au milieu de ces artistes qui viennent des quatre coins de la planète et dont la musique sera le seul langage commun. La renaissance du chapiteau est en marche…

Pierrot travaille jour et nuit, sonde chaque membre de la famille pour s’assurer de ses gammes. Il fait la connaissance de Rosa qui à 101 ans aime entraîner ses interlocuteurs dans le tourbillon des souvenirs de la Belle époque, de la bohème, de ses années folles à elle, l’intrépide et insouciante Rosa. C’était avant la guerre, l’horreur et puis le retour à la paix et la bascule dans la modernité.

Les tracteurs à la place des chevaux, la camionnette plutôt que les caravanes, la disparition des ânes. C’était avant l’apparition du jazz, du swing, du rock, du show à tout crin et puis des écrans de cinéma dans les quartiers populaires, bientôt du petit écran dans les salles à manger, et maintenant de ces minuscules écrans qui semblent coller au cerveau des enfants. Rosa a tout vu, tout connu… Et elle se plaît à dire que le cirque ne peut se laisser enfermer dans une petite boîte, qu’il a besoin de l’odeur de la sueur des hommes, du crottin de cheval, tout comme le trapéziste ou l’éléphant ont besoin d’espace, et les danseuses du regard des spectateurs. Les jeunes Bouglione écoutent et respectent. Pierrot aussi qui s’inspire des airs fredonnés par la doyenne…

Le cirque a toujours vu très loin, pour que les touts petits puissent dénicher dans les étoiles leurs rêves d’un soir… La règle d’or n’a pas changé, elle s’appuie juste désormais sur une technologie sophistiquée qui donne un souffle nouveau au spectacle. Au cœur du dispositif, l’orchestre de Pierrot sait qu’il doit jouer une partition en perpétuel mouvement sans jamais perdre le fil de l’harmonie qui relie les cœurs et les esprits. La musique fait bondir les corps, frémir les cuirs chevelus, ou parfois au contraire elle n’est plus que murmure submergé par le brouhaha des cris et des applaudissements. Il y a la note du rire, et la mélodie qui pleure. Pierrot les tient toutes au bout de sa baguette. Il retient sa respiration, les musiciens soufflent, le clown soupire… La musique est la respiration du saltimbanque.

Pierrot a su gagner la confiance absolue des Bouglione, il nous présente chacune et chacun, les jeunes et les anciens, les femmes du clan, les frères. Et grâce à leurs confidences glanées entre deux répétitions nous prenons la mesure de l’évolution du spectacle, de l’intelligence le la nouvelle mise en scène, de l’adaptation des anciennes techniques… On croyait le cirque marginalisé, ringard, désuet, has been, en tout cas condamné à une lente agonie… grossière erreur. Nous allons en avoir dans ce documentaire la flagrante démonstration, au gré de ces répétitions d’avant saison que nous sommes invités à suivre.

Il y aura des coups de gueule et des fous rires, des claquements de fouets et des envolées de saxo, des torrents de fausses larmes et des vrais tensions. Il y aura du rythme et du souffle… Un rythme infernal à nous couper le souffle. De la musique et du travail. De la nostalgie et des projections dans le futur…

UN FILM ECRIT PAR LAURENT-JACQUES COSTA
SUR UNE IDEE ORIGINALE DE LAURENT CASASOPRANA
REALISATEUR : CYRIL CLAUS
IMAGE : DAVID MARTIN, MARINA PAUGAM, CYRIL CLAUS
SON : MAURICE ROUBAS
COPRODUCTION : FRANCE 3, VIA STELLA, MECANOS PRODUCTIONS ET GB PROD